ÉDITORIAL DK NEWS DU JOUR : À Alger, l’Afrique ouvre le procès du colonialisme

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Il y a des moments où l’Histoire cesse d’être un simple récit pour devenir un acte de justice. La conférence africaine qui s’est ouverte à Alger n’est pas une rencontre ordinaire : elle marque, au contraire, le début d’un processus inédit, mûri au sein de l’Union africaine (UA), pour solder un passif colonial dont les séquelles continuent de marquer, en profondeur, les corps, les mémoires et les territoires. Cette initiative, rappelons-le, découle de la décision 903 adoptée par l’UA en février dernier, sur proposition du président Abdelmadjid Tebboune. Une proposition claire, assumée, courageuse : mettre l’Afrique face à son histoire, non pas pour la revisiter dans une logique de ressentiment, mais pour en tirer un droit légitime — celui de la réparation, de la restitution et de la reconnaissance des crimes commis. Car crimes, il y a eu. De l’esclavage au racisme institutionnalisé, de l’apartheid à l’instrument infâme qu’a été le code de l’indigénat, le colonialisme a produit en Afrique une entreprise systémique de déshumanisation. Une entreprise qui ne se limite pas aux récits du passé : les génocides, les déportations et les essais nucléaires — dont les effets radioactifs frappent encore aujourd’hui des générations — sont des réalités contemporaines, trop souvent occultées dans les grandes narrations internationales.

À Alger, ministres, historiens et juristes ne se réunissent donc pas pour débattre d’une page tournée, mais pour codifier l’indicible et structurer une démarche juridique capable de transformer la mémoire en droit. Le mandat confié à l’Algérie, à l’Afrique du Sud, au Togo et au Ghana n’est pas symbolique : il vise à bâtir les fondations d’un combat continental, unifié, pour obtenir réparations et restitutions. C’est un travail de longue haleine, méthodique, rigoureux, qui doit conduire à une stratégie claire : la future « Déclaration d’Alger », destinée à être adoptée par les chefs d’État africains lors du sommet de février 2026. Il est temps, en effet, que les nations africaines exigent leur dû. Le vent de la décolonisation des années 1960, aussi puissant soit-il, n’a pas suffi à mettre fin au néo-colonialisme, dont les mécanismes ont continué de saigner les économies, d’exploiter les ressources et de confisquer le patrimoine culturel. L’Afrique a été dépouillée, spoliée, dépossédée ; elle a été chair à canon lors des deux guerres mondiales ; elle a été un laboratoire à ciel ouvert pour les puissances coloniales.

Cette accumulation d’injustices ne peut rester sans suite. L’Algérie, fidèle à ses valeurs et à son parcours historique, joue dans ce processus un rôle moteur. Son engagement n’est ni nouveau ni opportuniste. Il s’inscrit dans une politique constante : soutien aux luttes de libération, effacement de la dette de pays fragilisés, promotion des échanges interafricains, solidarité agissante face aux crises. Ce leadership ne tire pas sa légitimité d’une posture morale, mais d’une expérience victorieuse de reconquête de la souveraineté, que le pays met au service de tout un continent. Aujourd’hui, à Alger, les peuples africains s’organisent pour réclamer au colonialisme son « solde de tout compte ». Non pas par vengeance, mais par exigence de justice. Car il n’y a pas d’avenir apaisé sans vérité. Il n’y a pas de développement durable sans réparation. Il n’y a pas de dignité retrouvée sans restitution.

 L’Afrique n’est pas en train de revisiter son passé ; elle est en train de reprendre en main son destin. Et cela commence ici, maintenant, par un acte fondateur : affirmer que les crimes coloniaux ne sont ni prescrits ni oubliés — et que les victimes ont droit, enfin, à ce qui leur a été arraché. C’est cela, la vraie signification de cette conférence : l’ouverture d’un chapitre où l’Histoire cesse d’être subie pour devenir écrite, pensée et revendiquée par ceux qui en furent les premières victimes. Une Histoire qui, cette fois, leur appartient.

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