Dès les premières heures de la glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954, l’approvisionnement en armes s’est imposé comme l’un des défis majeurs de l’Armée de libération nationale (ALN). Consciente que la victoire passait par la maîtrise de ses moyens de combat, la direction révolutionnaire a très tôt compris la nécessité de bâtir les fondations d’une industrie militaire nationale, capable de soutenir l’effort de guerre et de garantir une autonomie stratégique. C’est au cœur de la guerre, dans les années 1956-1957, que cette vision prit forme. À la suite du Congrès de la Soummam, la direction de la Révolution décida de miser sur les ressources internes du pays pour produire ses propres armes, malgré les conditions extrêmement difficiles.
L’histoire rapporte que deux jeunes moudjahidine réussirent à confectionner un premier prototype de grenade, présenté à Abdelhafid Boussouf et à Houari Boumediene. Impressionnés, ces derniers déclarèrent alors : « S’ils ont pu couler une grenade, ils pourront bien fabriquer une mitrailleuse. » Cette détermination donna naissance, en 1956, à la première fonderie secrète de fabrication d’armes, à l’origine du célèbre modèle surnommé « la grenade anglaise », puis « la grenade américaine ». L’année suivante, les premiers ateliers d’armement virent le jour aux frontières ouest du pays. Ces ateliers se spécialisèrent dans la conception et la fabrication de mitrailleuses, d’obus, de pièces pour canons et de divers composants mécaniques, sous la supervision du moudjahid Mohamed Boudaoud, dit Si Mansour, responsable de l’armement et de l’approvisionnement à l’Ouest. Durant la guerre, ces unités de production jouèrent un rôle déterminant : elles permirent de fabriquer jusqu’à 10 000 mitrailleuses et près de 50 000 obus de 60 mm, atteignant un rythme impressionnant de 6 000 à 7 000 unités par trimestre. Ce savoir-faire artisanal, né dans la clandestinité, constitua les premières bases d’une tradition industrielle nationale dans le domaine de la défense.
De l’indépendance à la naissance d’une industrie militaire nationale
À l’indépendance, l’Algérie, consciente du potentiel hérité de cette expérience révolutionnaire, transforma ce legs en un projet structurant. La jeune Armée nationale populaire (ANP) entreprit la mission de capitaliser sur l’expertise accumulée durant la guerre de libération afin de doter le pays d’une véritable industrie de défense. Dès les premières années, l’État algérien plaça la modernisation de ses forces armées au cœur de son programme de construction nationale. L’objectif était clair : réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger et maîtriser les technologies indispensables à la souveraineté nationale. Une cellule de réflexion fut mise en place afin d’élaborer une stratégie cohérente de développement industriel militaire. Cette orientation se traduisit, en 1974, par la création de la Délégation des réalisations et des industries militaires, qui deviendra plus tard la Direction des industries militaires (DIM), au sein du ministère de la Défense nationale. Cette structure constitua un tournant décisif : elle jeta les bases d’une industrie militaire moderne, fondée sur la recherche scientifique, l’ingénierie nationale et la formation des cadres militaires et techniques.
Investir dans l’intelligence nationale et les technologies de pointe
L’un des piliers du développement de l’industrie militaire algérienne réside dans la valorisation du capital humain. Dès les années 1980, l’ANP s’est attachée à former des ingénieurs, techniciens et cadres dans les disciplines clés : électronique, mécanique, optique, télécommunications et intelligence artificielle appliquée à la défense. Ces efforts, combinés à une politique d’investissement dans la recherche, ont permis à l’Algérie d’asseoir progressivement une autonomie technologique.
Sous la direction du président de la République et Chef suprême des Forces armées, M. Abdelmadjid Tebboune, l’industrie militaire a franchi de nouveaux paliers. Le taux d’intégration nationale s’accroît d’année en année, tandis que la diversification des produits s’étend à plusieurs domaines : armement, véhicules militaires, systèmes électroniques, équipements de communication et technologies de surveillance. Cette montée en puissance témoigne d’une stratégie claire : faire de l’industrie militaire un moteur de la modernisation nationale, tout en l’intégrant dans l’écosystème économique du pays. Les entreprises militaires participent aujourd’hui activement au développement industriel global, notamment dans la sous-traitance, la production duale (civile et militaire) et la création d’emplois hautement qualifiés.
Un réseau industriel national en expansion
L’Algérie dispose aujourd’hui d’un ensemble d’institutions et d’entreprises publiques spécialisées qui incarnent la vitalité de cette industrie. Parmi elles, l’Établissement des réalisations industrielles de Sériana (Batna) se distingue par la fabrication de munitions et d’équipements civils. De son côté, l’Établissement de constructions mécaniques de Khenchela produit des armes légères de haute précision, destinées aussi bien à l’armée qu’aux forces de sécurité. Dans le domaine technologique, l’Entreprise de la base des systèmes électroniques (EBSE) conçoit des systèmes de contrôle électronique, des radars de longue portée et des équipements de télécommunication destinés à la surveillance des frontières. L’Entreprise des systèmes de contrôle vidéo, quant à elle, développe et installe des dispositifs de sécurité pour les sites stratégiques, tandis que l’Office national des explosifs assure la production et la commercialisation de produits explosifs à usage civil et militaire. Ces institutions constituent les véritables piliers de l’autonomie industrielle de défense du pays. Grâce à elles, l’Algérie parvient à répondre à une large part de ses besoins en matière d’équipements, tout en exportant certaines de ses productions vers des partenaires étrangers dans un cadre réglementé et stratégique.
Une stratégie tournée vers l’avenir
Aujourd’hui, la Direction des industries militaires œuvre à consolider les acquis tout en s’inscrivant dans une démarche d’innovation continue. L’objectif est double : d’une part, maîtriser les nouvelles technologies intégrées aux systèmes d’armes modernes ; d’autre part, renforcer les capacités de défense nationale face aux défis sécuritaires régionaux et internationaux. La coopération industrielle, notamment avec des partenaires stratégiques, joue un rôle important dans cette dynamique. Ces partenariats permettent l’échange d’expertise, le transfert de technologies et la montée en compétence du personnel local. L’Algérie, forte de ses capacités techniques, aspire désormais à figurer parmi les pays émergents dans le domaine des industries de défense. Au-delà de la simple production d’armements, cette stratégie vise à bâtir une économie de la connaissance et de la technologie, où les industries militaires deviennent un levier de croissance nationale. Elles stimulent la recherche, soutiennent la formation des jeunes ingénieurs et contribuent à l’essor industriel dans d’autres secteurs connexes.
Une continuité historique et un symbole de souveraineté
De la grenade artisanale de 1956 aux systèmes électroniques de défense les plus sophistiqués, le parcours de l’industrie militaire algérienne est celui d’une réussite forgée dans le patriotisme et la persévérance. En perpétuant l’œuvre de l’ALN, l’Armée nationale populaire a su inscrire son action dans la continuité historique du combat pour la souveraineté nationale. Cette évolution, marquée par la rigueur, la compétence et la vision, fait aujourd’hui de l’ANP non seulement une force militaire moderne, mais aussi un acteur essentiel du développement économique et technologique du pays. L’industrie militaire algérienne n’est plus seulement un outil de défense : elle est devenue le reflet d’une nation indépendante, forte, et tournée vers l’avenir.
R.N
