Tandis que la France célèbre en grande pompe la victoire des Alliés sur le nazisme, l’Algérie, elle, commémore ce même jour un drame effroyable : le génocide perpétré par l’armée coloniale française à Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945. Ce 8 mai 1945, des milliers d’Algériens – hommes, femmes, enfants – sont descendus dans les rues, drapeaux à la main, dénoncer l’ordre colonial. Ils ont été accueillis par une répression féroce, planifiée, systémique. Une vengeance impériale: des tirs à balles réelles, des bombardements, mitraillages, rafles, exécutions sommaires, des arrestations massives, des villages rasés, des charniers improvisés.
Le bilan, encore aujourd’hui difficile à établir avec précision, fait état de plus de 45 000 morts selon les historiens. Un véritable crime contre l’humanité que la République française refuse obstinément de reconnaître.
== Justice piétinée ==
Malgré une reconnaissance timide en 2005, qui parla d’une « tragédie inexcusable », aucun président français n’a eu le courage, ni l’honnêteté, de nommer les choses : il ne s’agissait pas d’une bavure, ni d’un dérapage. C’était un génocide, un acte de terreur d’Etat mené contre une population désarmée, coupable seulement d’avoir cru à la parole donnée.
== Mémoire enterrée, justice refusée ==
Pour l’Algérie, le 8 mai reste un deuil national, gravé dans les chairs et les mémoires. Ce n’est pas seulement une date historique: c’est un traumatisme collectif, transmis de génération en génération, et désormais ancré jusque dans l’ADN du peuple algérien. Ce refus de l’oubli s’oppose frontalement à la stratégie du déni et de l’érosion mémorielle entretenue par l’Etat français. Non contente de ne pas reconnaître la nature génocidaire de ces massacres, la France continue, aujourd’hui encore, à violenter symboliquement l’Algérie.
Elle bafoue la mémoire des morts en leur refusant une sépulture digne, et elle délègue à ses relais médiatiques et politiques le soin de salir les combats d’hier – comme pour mieux justifier les silences d’aujourd’hui. == La stratégie du temps : une illusion française == La stratégie française est limpide : laisser le temps faire son œuvre, effacer les souvenirs, enterrer les témoins, neutraliser la transmission. Mais ce que Paris feint d’ignorer, c’est que le traumatisme algérien ne s’efface pas : il se transmet, il se renforce, il se cristallise. Et à mesure que disparaît la génération des moudjahidines, naît une nouvelle génération, éduquée, connectée, déterminée à réclamer vérité et justice. Ce 8 mai, alors que les fanfares résonnent sous l’Arc de Triomphe, l’Algérie pleure. Non pas ses soldats, mais ses martyrs. Non pas une victoire, mais un génocide. Et elle attend toujours que la France – celle des Lumières, des droits de l’homme, des grands principes – regarde enfin en face les ombres sanglantes de son empire colonial.
Un épisode sanglant de l’arrogance du colonialisme français en Algérie (universitaires)
Les massacres du 8 mai 1945 furent un épisode sanglant de la brutalité et de l’arrogance du colonialisme français en Algérie, dévoilant au grand jour la supercherie de la prétendue mission de civilisation dont la France coloniale se fait le chantre dans les fora internationaux. Des enseignants et historiens, interrogés par l’APS, ont souligné que les tueries de masse perpétrées à Sétif, Guelma, Kherrata et dans d’autres régions du pays, faisant plus de 45.000 martyrs, furent « un crime d’Etat imprescriptible à part entière ».
A ce propos, M. Bouazza Boudersaya, enseignant d’histoire moderne et contemporaine et recteur de l’Université « Mohamed El Bachir El Ibrahimi » de Bordj Bou Arreridj, a indiqué que « les massacres odieux perpétrés le 8 mai 1945 contre le peuple algérien sans défense ont inscrit la France coloniale au registre des Etats sanguinaires et entaché sa réputation construite sur les principes de la Révolution française ». Et d’ajouter que la fin de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) était une occasion pour le peuple algérien de sortir dans « des manifestations pacifiques, réclamant de la France le respect de ses promesses envers les Algériens à savoir: leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance, or la réponse coloniale ne fut que tueries et massacres ». Selon l’enseignant Boudersaya, cette répression visait à « briser le tissu social et à enrayer la croissance démographique à travers le recours au moyen le plus sordide possible, à savoir commettre un génocide humain, ce qui constitue l’une des pages les plus sombres de la colonisation française ». De son côté, l’enseignant d’histoire à l’Université « chahid Hamma Lakhdar » d’El Oued, Lazhar Bedida, a rappelé que ces massacres et crimes odieux « ne se sont pas limités à la journée du 8 mai 1945, mais avaient débuté par des opérations de poursuites, d’emprisonnement et d’assassinat depuis le 18 avril, qui s’étaient étendues à Alger, notamment le 1er mai, pour atteindre leur paroxysme le 8 mai à Sétif, Guelma, Kherrata et d’autres régions du pays ».
Quant aux visées de ces massacres, l’enseignant a précisé que l’administration française « était préparée à commettre de tels massacres, en raison de l’activité croissante du Mouvement national engagé sous la bannière du Manifeste du peuple algérien de février 1943, avec le soutien du peuple algérien ». A son tour, l’enseignant de l’histoire contemporaine à l’Université de Blida 2, Mahfoud Achour, a affirmé que les massacres du 8 mai 1945, « ont révélé le vrai visage du colonialisme français, non seulement pour les Algériens mais pour le monde entier, d’autant plus que ces massacres coïncidaient avec la fin de la Seconde guerre mondiale, à laquelle ont participé de nombreux enfants du peuple algérien, suite aux promesses qui leur avaient été faites par la France pour la liberté et l’indépendance après que l’Allemagne nazie fût vaincue ».
L’enseignant a également souligné que ces manifestations « se sont étendues à plusieurs villes algériennes et étaient bien organisées par le mouvement national, notamment dans les villes de l’est du pays dont Sétif, Guelma et Kherrata. La réaction de l’administration française fut brutale et préparée d’avance à travers les manœuvres de l’armée française ». A cette époque, le peuple algérien « s’était rendu compte que le colonialisme ne comprenait pas le langage pacifique. Ces massacres ont marqué un tournant décisif dans le parcours de lutte des Algériens après avoir réalisé que ce qui est pris par la force ne peut être repris que par la force », a affirmé M. Achour.
Suite à ces massacres atroces, le mouvement national, après la libération des détenus à partir de 1946, s’est engagé dans la préparation à la lutte armée. La création de l’Organisation spéciale (OS) en 1947 amorça la préparation à la Glorieuse guerre de libération. En dépit des obstacles et des difficultés, la jeunesse de cette époque continua la marche en fondant le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), couronnant ainsi les sacrifices des prédécesseurs depuis 1830, en déclenchant la révolution du 1er Novembre 1954, qui a abouti à l’indépendance et au recouvrement de la souveraineté nationale.
Kherrata peine à oublier
Quatre-vingts (80) ans après les massacres du 8 mai 1945, la ville de Kherrata peine à oublier les tueries subies et les exécutions de masse infligées, alors, aux populations locales, non seulement dans l’espace urbain, mais aussi aux alentours, allant de Merouaha jusqu’aux villes côtières de Melbou et Souk El-Ténine.
Par un jour de marché ensoleillé, la région a basculé soudainement dans l’horreur et l’innommable après que des détachements militaires de l’armée française aient encerclé et investi les lieux en utilisant des méthodes terroristes pour réprimer et torturer des civils pour avoir pris part, en début de matinée, à une marche pacifique durant laquelle ils ont dénoncé les massacres survenus la veille (8 mai 1945) dans la ville voisine de Sétif et réclamé l’indépendance de l’Algérie.
Des centaines d’hommes ont été mitraillés, ou, pire, jetés vivants dans les ravins et les gorges de « Chaabet El Akhira », situés à la périphérie nord de « la cité », parfois dans des conditions macabres d’une rare cruauté.
A hauteur du lieu-dit « pont Hanouz », baptisé ainsi du nom de la première victime, des soldats faisaient monter, sur le haut du parapet, des civils anonymes, les mains attachées avec du fil barbelé qu’ils catapultaient dans le vide.
« Alors, on jette ? », lance un soldat à son supérieur qui supervisait le drame comme dans une comédie de caniveau et qui se délectait ouvertement du bruit et de l’écho que rendaient les corps déchiquetés sur les parois rocheuses, comme l’avait témoigné à l’APS le moudjahid Lahcen Bekhouche avant de tirer sa révérence en 2019 à l’âge de 94 ans.
L’homme, âgé à l’époque (8 mai 1945) à peine de 20 ans, a tout vu.
Il a été voué également à l’échafaud avant qu’un officier, visiblement touché par son jeune âge et sa frêle frimousse, n’en vienne à le délivrer.
Il s’en est sorti avec une condamnation à mort prononcée par le tribunal de Constantine qui, une fois de plus par miracle, n’a pas procédé à l’exécution de la sentence. Sa plaie et les souvenirs effroyables qu’il a vécus sont restés pour autant vifs et vivaces. « Intérieurement j’ai été brisé », avait-il dit, relatant la tragédie endurée au pont Hanouz.
Le moudjahid Said Allik, 93 ans aujourd’hui, également l’un des rares survivants des massacres, est encore ému et blessé par les massacres de Kherrata comme s’ils dataient d’hier, malgré son état grabataire. « J’en tremble encore.
Comment oublier ? », opinera-t-il, dans un témoignage à l’APS, pris machinalement d’un discret tressaillement en se mettant à évoquer l’exécution froide devant ses yeux, de son père, sa mère, son frère ainé et sa petite sœur, âgée alors d’à peine 4 ans.
Il avait 12 ans lorsque de retour des événements de Kherrata, il s’est heurté à l’abominable vision, coïncidant avec l’arrivée d’un contingent de soldats qui a investi la masure familiale, tuant aveuglément ses occupants et brulant ses biens.
« Même les animaux domestiques n’ont pas échappé à la furie du colonialisme », se rappelle-t-il, expliquant qu’il avait eu la vie sauve après s’être caché derrière une colline voisine où il s’est réfugié seul pendant une semaine et à partir de laquelle, il a suivi toute la sauvagerie de l’armée coloniale qui a mobilisé des troupes et un arsenal militaire pour réprimer. Les massacres et les exactions ont perduré ainsi jusqu’au 21 mai, date à laquelle les forces coloniales ont forcé plusieurs milliers de personnes acheminées, malgré elles, de tous les villages de la région orientale de la wilaya, à suivre une démonstration militaire organisée sur les plages de Melbou et Souk El-Ténine (60 km de Kherrata).
Durant son déroulement, toute l’armada de guerre a été déployée, impliquant les forces navales, aériennes et terrestres et qui ont procédé, chacune dans ses positions, à des bombardements des villages vidés de leurs populations, conduites de force vers le littoral.
Beaucoup de femmes, notamment enceintes, et d’enfants sont tombés en martyrs, de peur, de fatigue et d’insolation durant cette journée infernale.
Aujourd’hui, à l’ombre de la montagne et au bord de la route, une stèle en marbre, érigée en mémoriel, rappelle aux passants et visiteurs les souvenirs de la barbarie de l’armée coloniale, dont l’évocation résonne indubitablement, 80 ans après, comme un coup de fouet dans la mémoire.
