L’Algérie vient d’inscrire une nouvelle page de sa lutte pour la vérité et la justice historique. Un colloque d’envergure, organisé à Alger par le ministère de l’Environnement et de la Qualité de la vie, en coordination avec le ministère des Moudjahidine et Ayants-droit, a mis en lumière les crimes écologiques du colonialisme français et leurs séquelles persistantes sur les territoires algériens et africains. Les experts présents ont insisté sur la nécessité urgente de bâtir une mémoire environnementale : un concept novateur qui lie histoire, écologie et souveraineté. Selon Mustapha Sadaoui, directeur du Laboratoire d’histoire locale et de mémoire sociale à l’Université de Bouira, cette mémoire environnementale constitue « une archive vivante » relatant les formes de domination coloniale sur la nature et sur l’homme.
Le colonialisme, explique-t-il, n’a pas seulement spolié les terres et déplacé les populations, il a aussi ravagé les écosystèmes et détruit la relation millénaire entre l’Algérien et son environnement. « Plus de 50 % de la population rurale a été déracinée de son milieu d’origine, un crime écologique et humain dont les cicatrices restent visibles », a-t-il rappelé. Cette approche, à la croisée de l’histoire et de l’écologie, redéfinit le regard porté sur le passé colonial. Pour Wullson Mvomo Ela, expert camerounais en géopolitique, « l’Algérie démontre une vision stratégique unique en reliant mémoire nationale et souveraineté environnementale ». Selon lui, la libération politique de l’Afrique ne saurait être complète sans une libération écologique, c’est-à-dire la restauration des territoires et des ressources pillés pendant des décennies. Le colonel Mustapha Merah, représentant l’État-major de l’Armée nationale populaire (ANP), a pour sa part insisté sur la nécessité d’ancrer cette période douloureuse dans la conscience des jeunes générations.
Il a rappelé les efforts colossaux de l’ANP dès 1963 dans les opérations de déminage, symbole de la reconstruction d’une terre meurtrie par les crimes coloniaux. Le colloque a également dénoncé l’absence d’archives coloniales, obstacle majeur à la pleine reconnaissance des crimes environnementaux, notamment les explosions nucléaires dans le Sahara. Contrairement à d’autres nations ayant assumé les conséquences de catastrophes industrielles ou nucléaires, la France n’a jamais reconnu sa responsabilité dans les ravages écologiques provoqués en Algérie. Les participants ont plaidé pour la création d’un projet national de mémoire environnementale, visant à recenser, archiver et documenter les zones brûlées, les terres polluées et les activités extractives destructrices. Une encyclopédie scientifique intégrée sera également élaborée en partenariat entre le Centre national d’études sur le Mouvement national et le Centre du développement durable, pour faire la lumière sur ces crimes et préserver la mémoire écologique du pays.
Les experts ont également appelé à impliquer la jeunesse et les créateurs de contenus numériques dans ce travail mémoriel. Les nouvelles générations, connectées et créatives, peuvent devenir les gardiens de la mémoire environnementale, en diffusant la vérité sur les réseaux sociaux, dans les documentaires et les projets éducatifs. Ce colloque marque un tournant : il ne s’agit plus seulement de dénoncer les crimes du passé, mais de construire une mémoire écologique partagée, porteuse de sens et d’avenir. En réconciliant histoire et environnement, l’Algérie trace le chemin d’une souveraineté totale « politique, culturelle et écologique » fidèle à son devoir de mémoire et à sa vocation de leader africain dans la défense de la justice environnementale.
R.N
