La mémoire de la Révolution du 1ᵉʳ novembre 1954 s’est transformée, ce lundi dernier, en un véritable plaidoyer pour la justice environnementale.
En célébrant le 71ᵉ anniversaire du déclenchement de la guerre de libération, l’Algérie a choisi de conjuguer son histoire à la conscience écologique universelle, rappelant au monde que la domination coloniale ne fut pas seulement politique ou économique, mais aussi un crime contre la nature, contre les écosystèmes et, par extension, contre la vie.
Dans le cadre solennel du Club national de l’Armée à Beni Messous, s’est tenu un grand colloque national intitulé : « Les impacts environnementaux du colonialisme en Afrique : vérités historiques et séquelles écologiques – le cas de l’Algérie », organisé conjointement par le ministère des Moudjahidine et des Ayants droit et le ministère de l’Environnement et de la Qualité de vie.
Cet événement, à la fois scientifique et symbolique, s’est imposé comme l’un des moments forts des commémorations nationales.
Il a réuni une large palette de personnalités : le ministre des Moudjahidine et des Ayants droit, M.
Abdelmalek Tacherift, la ministre de l’Environnement et de la Qualité de vie, Mme Kaoutar Krikou, le ministre de la Communication, M. Zoheir Bouamama, la secrétaire d’État chargée des affaires africaines au ministère des Affaires étrangères, Mme Mansouri Selma Bakhta, ainsi que de nombreux chercheurs, universitaires, cadres supérieurs, étudiants et représentants d’institutions nationales.
Tous se sont retrouvés autour d’une même conviction : écrire une nouvelle page de la mémoire collective, celle où l’histoire et l’écologie se rencontrent pour révéler une vérité encore trop ignorée .Dès l’ouverture des travaux, le ton fut donné.
Le ministre Abdelmalek Tacherift rappela que la mémoire de la guerre de libération ne saurait être complète sans la reconnaissance des souffrances infligées à la terre algérienne elle-même.
« Les séquelles environnementales du colonialisme ne relèvent pas du passé, elles sont inscrites dans le présent.
Elles affectent nos sols, nos forêts, nos eaux et même notre santé.
Ce colloque est un devoir de vérité, un acte de fidélité envers la mémoire de nos martyrs et une exigence de justice envers les générations futures », déclara-t-il.
En plaçant la recherche scientifique au cœur du devoir de mémoire, le ministre a souhaité donner un cadre académique à une démarche qui, longtemps, n’avait été que morale ou politique.
Dans la même veine, Mme Kaouthar Krikou souligna que la question écologique doit être abordée comme un pilier de la souveraineté nationale et continentale.
Pour la ministre, « le colonialisme n’a pas seulement confisqué les libertés, il a pillé les ressources naturelles, ravagé les forêts, asséché les terres fertiles, détruit les nappes phréatiques et introduit une logique d’exploitation sans fin.
Ces atteintes à l’environnement ont affaibli durablement les peuples africains, en rendant leurs territoires vulnérables aux déséquilibres climatiques et économiques ».
Dans un message empreint de lucidité, elle rappela que l’Algérie, forte de son expérience historique, entend aujourd’hui partager son savoir et son engagement pour bâtir une Afrique consciente de ses droits environnementaux.
Les débats du colloque ont mis en évidence un constat incontestable : le colonialisme fut aussi un écocide.
À travers des présentations et communications d’universitaires et de chercheurs, de multiples exemples ont été cités pour démontrer l’ampleur des dégâts écologiques provoqués par l’occupation française.
La déforestation massive du nord de l’Algérie, opérée au nom de l’agriculture coloniale ; la surexploitation des mines de fer, de plomb et de charbon ; le détournement des cours d’eau ; la transformation forcée des écosystèmes ; la monoculture imposée pour alimenter les industries métropolitaines — autant de pratiques qui ont bouleversé l’équilibre naturel du pays.
Les scientifiques présents ont également évoqué la dégradation des sols, la disparition d’espèces endémiques et la rupture des cycles hydrologiques, conséquences directes d’un modèle d’exploitation étranger aux réalités locales.
Mais l’un des chapitres les plus poignants de ce colloque fut, sans conteste, celui consacré aux essais nucléaires français dans le Sahara algérien.
Plusieurs intervenants ont rappelé que, de 1960 à 1966, la France coloniale avait mené une série d’expérimentations atomiques à Reggane et In Ekker, laissant derrière elle un héritage radioactif toujours présent.
Des zones entières demeurent contaminées, des populations locales continuent de subir les effets sanitaires de ces explosions, et les générations successives paient le prix de cette contamination silencieuse.
Ces essais, longtemps tenus secrets, représentent à eux seuls la manifestation la plus dramatique du crime écologique colonial.
Ils rappellent, avec une intensité particulière, que la nature fut aussi victime de la violence impériale.
Pour le ministre des Moudjahidine, ce travail de vérité n’est pas une fin en soi, mais le point de départ d’une réflexion globale sur la justice historique.
Il a insisté sur la nécessité de relier la mémoire à la science, afin que les recherches menées par les historiens et les écologues contribuent à la réhabilitation de la vérité et à la sensibilisation des nouvelles générations.
« Notre devoir est double : garder vivante la mémoire des souffrances, et transformer cette mémoire en outil de conscience collective.
Comprendre les crimes écologiques du colonialisme, c’est prolonger la lutte pour la souveraineté dans une dimension nouvelle : celle de la justice environnementale », a-t-il affirmé avec gravité.
Les chercheurs présents ont également abordé la question sous un angle comparatif, en reliant l’expérience algérienne à celle d’autres pays africains ayant subi les mêmes prédations.
Du Congo à Madagascar, du Mali au Cameroun, les mêmes pratiques ont été observées : déforestation planifiée, exploitation minière intensive, pollution des eaux, déplacements forcés de populations.
L’Afrique tout entière a été le théâtre d’un drame écologique qui, aujourd’hui encore, continue d’influencer les équilibres économiques et climatiques du continent.
Les participants ont appelé à la constitution d’un réseau panafricain de chercheurs et d’experts dédié à l’étude des séquelles environnementales du colonialisme, afin d’unifier les efforts scientifiques et politiques autour d’une mémoire écologique commune.
Cette démarche s’inscrit dans la vision d’une Afrique qui refuse l’oubli et revendique le droit à la réparation.
Pour de nombreux intervenants, l’enjeu dépasse le cadre purement historique : il s’agit d’un combat moral et politique pour la reconnaissance d’un crime contre la nature.
La colonisation, ont-ils rappelé, a imposé un modèle de développement extractiviste, fondé sur la surexploitation et la destruction, dont les peuples africains subissent encore les conséquences.
Restaurer la nature, c’est donc prolonger le processus de décolonisation.
Au fil des heures, les échanges ont pris la forme d’un véritable dialogue entre mémoire et savoir.
Des moudjahidine ont témoigné des souffrances vécues, des paysages dévastés et des terres confisquées.
Des chercheurs ont présenté des cartes, des rapports et des études de terrain démontrant la persistance des déséquilibres écologiques.
L’émotion se mêlait à la rigueur scientifique, et chaque intervention semblait rappeler que la nature, tout comme l’homme, porte les cicatrices de l’histoire.
Ce colloque a également été l’occasion d’une réflexion plus large sur la nécessité de promouvoir, à l’échelle mondiale, une conscience environnementale décolonisée.
Pour les organisateurs, il est temps que le monde reconnaisse le colonialisme non seulement comme une domination politique, mais comme une catastrophe écologique planétaire.
Le ministre de la Communication, Zohir Bouamama, a souligné à cet égard le rôle des médias dans la transmission de cette vérité : « Nous devons raconter cette histoire autrement.
Nous devons faire entendre la voix de la nature et de la mémoire, car la vérité écologique du colonialisme est aussi une vérité humaine.
» À mesure que la journée avançait, l’atmosphère devenait à la fois grave et porteuse d’espérance.
La présence d’universitaires, d’étudiants et de jeunes chercheurs témoignait du renouveau d’un intérêt pour l’histoire environnementale, champ encore récent mais porteur d’une forte charge symbolique.
Les discussions se sont conclues sur un engagement commun : poursuivre la recherche, intensifier la coopération entre institutions, et surtout, faire de la mémoire écologique une dimension incontournable de la construction nationale et africaine.
En clôturant les travaux, Abdelmalek Tacherift a salué la richesse des débats et remercié l’ensemble des participants pour leur contribution à la vérité historique.
Il a réaffirmé la volonté de l’Algérie d’assumer pleinement son rôle de nation pionnière dans la défense de la justice environnementale, et d’en faire un axe majeur de sa diplomatie et de son action internationale.
« Ce colloque, a-t-il déclaré, n’est pas seulement un moment de mémoire, mais un acte de responsabilité universelle.
Il rappelle que la liberté ne se limite pas à l’indépendance politique.
Elle inclut le droit à un environnement sain, équilibré et respectueux de la dignité humaine.
» Ainsi, en choisissant de célébrer l’anniversaire de la Révolution par un colloque sur les crimes écologiques du colonialisme, l’Algérie offre au monde une leçon d’humanisme et de lucidité.
Elle démontre que la fidélité au passé n’est pas une simple commémoration, mais une construction de l’avenir.
En érigeant la mémoire en outil de connaissance et de justice, elle réaffirme que la décolonisation véritable ne se limite pas aux frontières politiques, mais s’étend à la terre elle-même, à l’eau, à l’air et à tout ce qui constitue la vie.
Ce 3 novembre 2025, dans le silence chargé d’histoire de Béni Messous, l’Algérie a parlé au nom de la nature, au nom des peuples et au nom de l’avenir.
Et son message résonne bien au-delà de ses frontières : la liberté n’est totale que lorsque la mémoire de l’homme se réconcilie avec celle de la terre.
R.N
